art. 2/ MUSIQUE et MÉMOIRE : MAGIE OU CHIMIE ?

La musique peut être utilisée comme outil thérapeutique pour stimuler et renforcer la mémoire. Ainsi, les enfants pratiquant un instrument de musique auraient plus de facilités dans les apprentissages. Mais au-delà de ce renforcement positif des capacités cognitives et mnésiques, la musique permettrait même d'accéder de nouveau à des informations et souvenirs perdus, lorsque la mémoire est déficiente. Mais comment ? Quelles sont les caractéristiques d'une musique qui entraîne la mémoire, la renforce et la ravive ? Comment la musique agit-elle sur le cerveau et sur la mémoire ? Est-ce de la magie, ou de la chimie ?


MUSIQUE ET CERVEAU : LA SYMPHONIE DES AIRES CÉRÉBRALES

« La musique est biologiquement intrinsèque au cerveau humain » M. THAUT

De nombreuses études scientifiques ont analysé le fonctionnement du cerveau, ses structures et son organisation. Nous savons aujourd'hui que les fonctions cognitives – le langage, la motricité, les émotions, la mémoire,... - sont régies par des zones cérébrales spécialisées, qui leur sont dédiées. Parfois doublées, les aires de Broca et de Wernicke sont par exemple les aires cérébrales du langage ; de sa compréhension, son élaboration et de sa production. Elles sont situées dans l'hémisphère cérébrale gauche, au niveau du lobe frontal, c'est-à-dire, juste derrière le front. La zone du cerveau en charge de préserver l'équilibre et la coordination des mouvements est quant à elle située à l'arrière de la tête, au niveau du cervelet. On peut donc naturellement se poser la question de l'emplacement de l'aire cérébrale dédiée à la musique.

Mais contrairement au langage, à la motricité ou à la mémoire par exemple, il n'existe pas de « centre de la musique » dans le cerveau. Des études neurologiques ont révélé que le traitement de la musique par le cerveau implique la mise en action de nombreux réseaux neuronaux, non spécifiques au seul traitement de la musique mais impliqués dans d'autres fonctions cognitives : les fonctions motrices, verbales, sensorielles, mnésiques, de régulation émotionnelle, d'inhibition,... Ainsi dans ces études, les IRM fonctionnels ont montré que la production musicale (instrumentale ou vocale) ou même l'écoute musicale crée un véritable feu d'artifice cérébral, stimulant des réseaux neuronaux situés dans les deux hémisphères du cerveau à la fois, qui s'illumine de toute part.

La musique est donc simultanément traitée par le cerveau dans les deux hémisphères et toutes les zones cérébrales :

-La fosse postérieure va traiter la réverbération pour déterminer l'emplacement de l'origine du son ; elle est également responsable des fonctions autonomes rythmiques du corps humain comme la respiration, les battements cardiaques et la tension artérielle.

-Le lobe temporal loge le cortex auditif, il interprète donc les impulsions électriques des sons entendus ; c'est le prolongement de notre oreille, qui va traiter les aspects de la mémoire des sons (reconnaître des mélodies ou des sons familiers) et y attribuer une réponse émotionnelle (positive, négative ou neutre).

-Le cervelet est l'acrobate qui gère la coordination et l'équilibre ; il entre également en jeu et est essentiel lorsque l'on tape des mains, des pieds, joue d'un instrument et danse.

-Le lobe occipital est responsable du traitement visuel ; il est nos yeux, et nous permet d'identifier les instruments, lire une partition, interpréter les mouvements des musiciens et des chefs d'orchestre.

-Le lobe pariétal est celui qui reconnaît, qui analyse les données qui vont ensuite être stockées en mémoire ; il traite les vibrations (ressenties dans le corps grâce aux instruments ou à la voix) et participe à l'interprétation et à la compréhension des paroles car il est en lien avec les processus du langage.

-Enfin le lobe frontal est le grand chef d'orchestre qui coordonne tous les processus cognitifs et les habiletés motrices.


EN BREF

Il n'existe pas un seul « centre de la musique » dans le cerveau, mais cet art complexe nécessite pour son traitement, la mise en route d'une multitude de réseaux neuronaux, situés dans différentes zones du cerveau, et spécifiques à d'autres tâches.


DE LA MUSIQUE À TOUT ÂGE ET SANS MODÉRATION : POUR STIMULER, ENTRAÎNER ET RENFORCER NOS CAPACITÉS COGNITIVES

Un sport de haut niveau pour le cerveau !

La musique agit comme un stimulant neuronal. De la même manière que le rythme motive votre course à pied, la musique entraîne une activité cérébrale plus fluide : les capacités d'attention, de concentration, de raisonnement, de mémorisation et de logique sont améliorées par le jeu ou l'écoute de la musique.

Cela commence déjà in utéro, alors que le fœtus n'a que quelques semaines et est déjà en capacités de percevoir les vibrations. Au cinquième mois de grossesse, son ouïe est formée et il distingue clairement les sons graves des sons aigus et les intonations de voix dans n’importe quelle langue. Les bruits et les sons agissent alors sur le développement de son cerveau. Les nourrissons ayant été bercés par de la musique de manière prolongée lorsqu'ils étaient encore au chaud dans le ventre de leur mère, auraient plus de facilité pour accéder au langage, avec un vocabulaire plus varié et plus riche, et pour coordonner leur mouvements dans l'apprentissage de la marche par exemple. C'est aussi à partir de ce moment là que l'identité musicale se crée. La simple écoute musicale permet donc d'améliorer le développement de l'enfant, dans ses dimensions cognitives, motrices et sociales.


EN BREF

L'écoute de la musique et la pratique musicale – agissant comme stimulant neuronal- améliorent le développement de l'enfant, de 0 à 99 ans !


MUSIQUE ET MALADIES NEURO-DÉGÉNÉRATIVES : LA MÉLODIE DES SOUVENIRS, QUAND TOUT SEMBLE PERDU

Dans le cas d'une maladie neuro-dégénérative comme la maladie d'Alzheimer, de Parkinson, de Huntington ou encore la maladie à Corps de Lewy, la musique est ici encore un outil thérapeutique précieux. Lorsqu'une zone cérébrale est endommagée par la maladie, cette dernière devient de plus en plus difficile à atteindre, malgré les efforts ou les stimuli extérieurs.

Prenons le cas de la maladie d'Alzheimer - qui est une maladie neuro-dégénérative entraînant en premier lieu une perte de mémoire partielle, puis une désorientation spatio-temporelle et une perte d'autonomie – l'accès à la mémoire et aux souvenirs se fait de plus en plus difficile, parallèlement à l'évolution de la maladie. Pourtant, certains cas cliniques d'anciens musiciens atteints de la maladie d'Alzheimer ont montré que, malgré les troubles de la mémoire et du langage qu'ils présentaient, ils conservaient de très bonnes capacités musicales. Leurs capacités à reconnaître des airs, des timbres ou des pièces musicales, n'étant pas altérées, ni d'ailleurs leurs capacités à jouer d'anciens morceaux appris par le passé. D'autres études scientifiques ont également montré que chez des patients non-musiciens, atteints de la maladie d'Alzheimer, la mémoire musicale était elle aussi protégée et accessible. De plus, ils seraient également capable non seulement de récupérer des informations musicales en mémoire, mais également d'en encoder de nouvelles en apprenant de nouvelles mélodies.

Alors, quelles sont les composantes de la musique qui lui permet de résister à la dégénérescence neuronale ? Comment se fait-il qu'un morceau de musique, le timbre d'un instrument ou les paroles d'une chanson restent en mémoire alors que tout le reste s'efface ? Cette apparente magie musicale et cérébrale n'est autre que la résultante d'un effort neuronal du cortex tout entier : nous savons que la musique est traitée par le cerveau en faisant appel à différentes zones spécifiques comme les aires perceptive, motrice, verbales, mnésique, de régulation émotionnelle..., et qu'elle est donc capable de créer des ponts entre elles, soit de nouvelles connexions neuronales qui se tissent d'une région à l'autre du cerveau quand leur stimulation par la musique est simultanée. Ainsi, lorsqu'une aire cérébrale est endommagée et ne peut plus remplir sa fonction, c'est une autre zone du cerveau qui va prendre le relai et imiter la gestion et les action de la zone endommagée pour maintenir les capacités lésées. On parle alors de plasticité cérébrale ; cette faculté qu'à le cerveau d'être plastique, c'est-à-dire malléable et de s'adapter en se réorganisant. La musique, par les liens qu'elle crée entre les deux hémisphères du cerveau, est vectrice de cette plasticité cérébrale et la renforce.

Pour imager cette idée, imaginons le cerveau comme un village et la musique comme un métier à tisser qui relierait toutes les maisons et tous les artisans d'un même village. Si un artisan ne peut plus travailler, d'autres maisons prennent alors e relai pour maintenir les capacités grâce aux fils tissés par la musique : c'est la réorganisation fonctionnelle.

De plus, la forte composante émotionnelle de la musique lui permet de s'inscrire dans une mémoire à long terme, différemment et plus profondément, par rapport au lexique de la mémoire verbale par exemple. C'est cette dimension émotionnelle du souvenir musical qui permettrait sa récupération plus efficace et donc la stimulation cognitive, sensorielle, affective, sociale et comportementale des personnes atteintes de maladies neuro-dégénératives comme la maladie d'Alzheimer, qui conserveraient diverses capacités, y compris mnésiques, même à un stade avancé de la maladie.


EN BREF

La musique agit comme un métier à tisser dans le cerveau, créant des liens entre les zones lésées et les zones saines pour que ces dernières prennent le relai et maintiennent les capacités. Ainsi, même les personnes atteintes de maladies neuro-dégénératives sont capables de se souvenir de mélodies connues, mais aussi d'en apprendre de nouvelles !


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